L'IVG dans la Constitution française, l'inquiétude de l'Église l’intégrale des déclarations de Mgr. D’Ornellas
Le président français a annoncé
vouloir présenter un projet de loi d’ici la fin de l’année pour inscrire
la liberté de recourir à l’avortement dans la Constitution. Mgr Pierre
d'Ornellas, archevêque de Rennes et responsable du groupe de travail sur
la bioéthique de la Conférence des évêques de France exprime son
inquiétude. Il regrette la confiscation d'un authentique débat sur un
sujet qui mériterait une réflexion d'humanité et de conscience
impliquant l'ensemble de la société.
Entretien réalisé par Marie Duhamel - Cité du Vatican
Le président français Emmanuel Macron a annoncé ce dimanche 29
octobre sur les réseaux sociaux vouloir présenter un projet de loi d’ici
la fin de l’année pour inscrire «la liberté de recourir à l’avortement»
dans la Constitution. Afin de faire aboutir cette révision
constitutionnelle, le chef de l’État a choisi la voie du Congrès de
Versailles pour faire adopter ce texte à l’issue d’un vote à une
majorité des trois cinquièmes des deux chambres, plutôt que celle du
référendum. Contacté par Vatican news - Radio Vatican, Mgr Pierre
d’Ornellas, responsable du groupe de travail sur la bioéthique de la
Conférence des évêques de France, regrette autant la méthodologie
choisie, qu’il ne s’inquiète de l’inscription de cette liberté dans la
loi fondamentale du pays.
Je pense que ni l'un ni l'autre [ndlr, Congrès de Versailles ou
référendum] ne serait la bonne manière de faire, parce que c'est un
sujet trop sérieux, trop grave et qui mérite beaucoup de réflexion et
d’humilité pour pouvoir discerner quel serait le mieux dans un cadre
législatif, et d’autant plus si on choisit le cadre constitutionnel.
Cela mérite une grande prudence. Quelle est la méthode qui donnerait le
plus de prudence et le plus de capacité de réfléchir, d'écouter, de
discerner, de débattre ? Je ne sais pas si c'est le référendum, ni si
c'est le Congrès [du Parlement] à Versailles. Dans tous les cas, cela ne
peut pas se faire à la légère et à la rapide. Il faudrait organiser un
authentique débat. Ce ne peut être une option politique dont on discute
sur une table, en dépendant d’une majorité. C'est une réflexion
d'humanité et de conscience qui concerne toute une société. Toute la
société devrait s'engager au sujet de ce que Simone Veil appelle «un drame et qui restera toujours un drame».
En décembre dernier, le Conseil permanent de la Conférence des
évêques de France a exprimé son inquiétude face à ce choix du président
Macron. L’inquiétude est également votre sentiment ?
Oui, c'est une lourde inquiétude. Je ne sais pas ce que cela
signifiera pour une société d'avoir inscrit dans sa Constitution le
droit à l’IVG. Nous serions quasiment le seul État au monde à avoir
inscrit un tel droit dans notre Constitution. Parmi les pays européens,
nous sommes le seul pays où le nombre d'avortements ne cesse de grandir
chaque année. Il est deux fois plus élevé qu’en Allemagne et je ne pense
pas qu’inscrire dans la Constitution la liberté d’accès à l'IVG
supprimera le fait que ce soit «toujours un drame». Et du coup, qu'est-ce qu'on va faire de ce «drame» ?
Comment va-t-on en parler ? Est-ce qu’inscrire ce droit dans la
Constitution garantit la liberté d'expression au sujet de l’IVG ? Est-ce
que cela garantit le fait qu'on puisse débattre de cette délicate
question ? Est-ce que ça garantit la clause de conscience des médecins
ou des soignants qui refuseraient de participer à un acte d’avortement,
ou qui, dans leur écoute d’une personne se posant la question d’avorter
ou non, donneraient avec un grand respect de sa liberté un conseil
allant dans le sens de ne pas recourir à l’IVG, en proposant une
alternative ? Est-ce que cette inscription du droit à l'IVG dans la
Constitution permettra une véritable liberté d'expression et permettra
d'engager un débat sérieux au sein de notre société, ou dans une
institution de santé ? J'en doute, d'où mon inquiétude. Bien que ce soit
de façon indirecte, risquer de toucher à la liberté d'expression, à la
liberté de pouvoir débattre sur un sujet aussi grave, c’est inquiétant !
Est-ce que vous jugez problématique ou inapproprié le fait d'inscrire un sujet de société dans la Constitution ?
Bien sûr, à quoi sert la Constitution si on y met des libertés de
ceci ou de cela qui sont affichées comme des droits quand il s’agit de
problématiques sociétales ? Au lieu de servir la vie de la société et
son débat, elle devient un instrument pour clore le débat ! Peut-être
que dans le fond, c'est parce que l'IVG est un débat extrêmement
difficile qu'on n'arrive pas à avoir parce qu’on ne sait pas par quel
bout le prendre, qu'on s’en débarrasse en dogmatisant un principe dans
la Constitution: l’IVG est un droit, fermer le ban ! Comme si on faisait
du simplisme, au lieu de conserver la complexité du réel, et donc la
nécessaire complexité de ce débat en en protégeant la tenue dans le
dialogue avec ses points de vue contradictoires. De fait, on n'arrive
pas à mener ce débat en France, parce qu'on le mène uniquement à partir
d’une seule idée qu’est la vie privée de la femme et son autonomie.
Pourtant, le réel est autre. Des études précises montrent que souvent ce
sont des déterminismes sociaux qui provoquent à l’avortement, par
exemple la pauvreté. Ces déterminismes sont en quelque sorte des
contraintes, parfois non reconnues. La problématique de l’avortement
concerne la société tout entière, les mineurs et les majeurs, avec
parfois des situations complexes et très douloureuses. Comment se
fait-il qu’en France, le nombre d’avortements augmente alors que dans
les autres pays européens, le nombre a tendance à diminuer ? Certains
pays voient diminuer ce nombre par une prévention sociale déterminée
sans aucunement restreindre les conditions d’accès à l’IVG. Nous sommes
bien en face d’une vraie question de société ! C'est comme si on ne
savait pas par quel bout la prendre, et du coup, pour ne pas en
discuter, en débattre, on la met dans la Constitution. Cela apparaît
comme un aveu de faiblesse sur notre capacité à débattre sereinement au
sujet de l'IVG.
La présidente d’alliance Vita, dans un communiqué, explique que ces femmes «n’avortent pas librement et par choix, mais sous la contrainte et par défaut d'alternative».
Est-ce que vous avez l'impression qu'en inscrivant la liberté de
recourir à l'avortement dans la Constitution française, les autorités se
trompent de priorités ?
La vraie priorité, c'est de garantir que tout le monde dans la
société soit engagé dans le respect de la vie humaine et dans l'aide des
personnes les plus fragilisées. Nous sommes une société de la relation
sociale. Nous ne sommes pas une société d'êtres humains autonomes, les
uns à côté des autres, comme si chacun était une tour d'ivoire
inaccessible. Nous sommes une société de la relation sociale, de la
relation humaine, de la rencontre. Toute société est ainsi ! Et cette
relation sociale, cette relation humaine et cette rencontre postulent
que nous prenions tous soin du plus fragile. Et prendre soin du plus
fragile, dans le cas qui nous occupe, c'est prendre soin de la femme qui
est confrontée à ce choix, quelles que soient les circonstances ou les
raisons qui provoquent ce choix. Comme l'a dit Simone Veil, c'est
«toujours un drame». N’occultons pas la souffrance de femmes qui y sont
confrontées. Précisément, si nous sommes une société de la relation
sociale, de la relation humaine et de la rencontre, évidemment, on vient
au secours de quelqu'un qui vit un drame. C'est tout simplement le bon
Samaritain ! J'ai été frappé que dans un texte du Conseil d'État, la
parabole du bon Samaritain ait été citée. Il me semble qu'il y a là
quelque chose de très fondamental. L'État français devrait conduire la
société à prendre ensemble ce problème à bras le corps. Or là, on risque
d’en priver la société en faisant de l’IVG un droit constitutionnel.
Au point où nous en sommes, comment faire revivre ce débat auquel les autorités renoncent selon vous ?
Puisqu’il s'agit d'un acte juridique dans la Constitution, il faut
que des juristes s'expriment, car il y a des contradictions dans le
droit. Par exemple, l'article seize de notre code civil dit que la loi
garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie. Ça,
c'est le principe «organisateur» et du coup l'IVG devient une exception,
ce que pensait d’ailleurs Simone Veil. Mais qu'est ce qui se passe
quand l'IVG est inscrit dans la Constitution et devient comme un
principe ? Cela voudrait-il dire que le droit à la vie devient une
exception ? Donc il faut que les juristes travaillent et s'expriment.
Deuxièmement, il me semble les personnes sur le terrain pourraient
s'exprimer, notamment des personnes qui accompagnent [l’IVG] d'une
manière médicale, comme les soignants, mais aussi des psychologues ou
des psychiatres.
Enfin, les autorités religieuses, avec leur tradition de sagesse
toujours pensée sur la base de l’expérience et pour le bien des
personnes, de leurs relations et de leur liberté, pourraient s'exprimer
de différentes manières selon leur religion, pour dire à quel point
c’est essentiel dans une société d’être une société de la vie. Une
société où la culture de la vie avance, où on est dans la protection du
plus fragile, du plus petit. Une société où on est dans l'accompagnement
et non pas une société qui règle un problème difficile par un droit
dans la Constitution. Quel est donc l’avenir d’une société où 1/5ème des grossesses s’achèvent avec l’avortement ?
L'Église est appelée à prendre la parole, au même titre d'ailleurs
que les autres confessions, vous l'avez évoqué. Que fait l’Église pour
accompagner ces femmes qui sont en proie à ce drame de l'avortement ?
Je suis émerveillé quand j'entends les aumôniers. Ce sont des
personnes sur le terrain qui accompagnent les femmes et parfois les
couples qui se posent la question de l'avortement ou non. Ces aumôniers
proposent un accompagnement sans aucun jugement. Quand on prend le temps
d'écouter ces personnes engagées dans les aumôneries, on voit que du
bien se fait dans cet accompagnement qui éveille à la vraie liberté, à
un choix avec le moins de contraintes possibles. Pourquoi ? Parce que le
débat est ouvert, il n’est pas empêché. Il n'y a pas de peur à avoir ce
débat, cette écoute et cet échange de paroles. La souffrance est
entendue. Il me semble que là, quelque chose de tout à fait remarquable
se fait pour le bien des personnes.
Des mouvements accueillent des femmes qui souvent sont seules devant
ce choix entre garder l'enfant ou avorter. Face à cet isolement devant
le choix, cet accueil fait du bien en permettant à une personne de
pouvoir parler, s'exprimer en confiance, dire son angoisse devant ce
choix.
Enfin, accueillir des femmes, voire des couples, qui ont pratiqué
l'avortement, c’est important. Elles viennent librement pour vivre un
chemin parce qu'elles portent une blessure. On le sait, le «drame» de
l’IVG n’est pas sans conséquence. Cet accompagnement permet comme une
résurrection du lien maternel avec l'enfant qui, bien sûr, a disparu, et
dont nous croyons qu'il est toujours vivant dans la foi chrétienne.
Cette réconciliation avec soi-même suscite une vraie guérison de la
femme qui retrouve, si je peux dire, une pacification dans sa liberté de
femme. Cela peut être également vrai pour le père qui a fait pression
pour qu’il y ait avortement.
Quel message pour l'Église si la liberté de recourir à l'avortement est bien inscrite dans la Constitution française ?
Rien n'empêchera la compassion, l'écoute, le dialogue sur le terrain.
C'est beau et grand de vivre la compassion, la vraie compassion de
l'écoute et du dialogue, et je pense qu'aucun Français ne se sentira
privé d’être appelé à la compassion alors même qu'il peut y avoir une
inscription dans la Constitution. Je ne pense pas que cette inscription
du droit à l’IVG puisse gérer l'authentique liberté des personnes à
vivre ce que nous indique le bon Samaritain. Ce n'est pas la
Constitution qui donne du prix à nos libertés, c'est la liberté humaine à
vivre l'entraide fraternelle qui donne du prix à notre Constitution.
Dans Evangelii Gaudium,
le Pape explique que défendre les enfants à naître est lié absolument à
la défense des droits humains. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce
qu'il veut dire par là ?
Ou bien la personne est un être humain sacré, quelle que soit sa
condition de vie, et mérite ainsi d'être toujours considérée avec sa
dignité inamissible, ou bien c'est à géométrie variable. Voilà que le
plus petit, qui est précisément l'être humain dans le sein de sa mère,
mérite d'être considéré comme ayant la dignité d'une personne, et donc
toucher à cet être humain sans le respecter, sans le considérer, c'est
forcément une atteinte à ce respect qui est dû à tout être humain.
Depuis 1974, la science a progressé et nous permet de savoir qu’un
nouvel être humain avec son propre développement existe dès que la
conception est terminée. Le Pape François nous fait comprendre qu’avec
le respect de l’enfant à naître, on touche à quelque chose de central :
il s'agit d'édifier une société du respect, de la considération pour
tout être humain en raison de sa dignité, quel que soit son chemin ou sa
situation. De toutes les façons, devant le réel, nous sommes tous
invités à beaucoup d’humilité et d’empathie.
|